dimanche 14 octobre 2012

Tout ce qui monte doit redescendre...


22 septembre 2012, North Vancouver

Du moins c'est ce que dit la Loi de la gravité. Ça ne s'applique pas toujours à la course en sentier, malheureusement. La Grouse Grind Mountain Run en est un bel exemple. 2,9 km, 853 mètres de montée, aucune perte d'élévation, aucune dans le sens de "y en a pas, jamais, pantoute, arrête d'espérer".

Le déclenchement des hostilités

Le téléphone sonne, un numéro qui m'est inconnu. Réponds, réponds pas... Bah, je décroche. C'est un employé de Grouse Mountain, qui m'invite à participer à la course du 22 septembre. Mon résultat à Seek the Peak, en juin, me vaut cette invitation. Seek the Peak, c'est un agréable 16 km presque exclusivement en montée qui compromet sérieusement la santé de vos poumons. La Grouse, ce n'est même pas 3 km. Pfff! Honnêtement, ça m'intéresse plus ou moins. Je n'aime pas particulièrement ce sentier, trop touristique, trop aménagé, trop artificiel. Quand je me rends à Grouse, c'est plutôt pour gravir la BCMC à côté, moins touristique, moins aménagée, moins artificielle (note à moi-même : acheter/dictionnaire/synonymes). Alors que je cause avec ledit employé, j'apprends que je peux courir gratuitement. Le fait d'être invité, ça fait plaisir à l'égo; le fait de ne pas payer, ça fait plaisir au portefeuille. J'accepte donc. Mon nouveau copain ajoute alors : "I assume you will run elite." "Of course", que je réponds. J'aurais dû ben dû don dû fermer ma grand yeule... (Richard Desjardins, pour les ceuzes qui manquent de culture musicale.)

L'entraînement sur le terrain

Nous sommes trois semaines avant la course. J'ai fait la Grouse Grind environ 10 fois pendant l'été. À partir de maintenant, ce sera 4 ou 5 fois par semaine. Mon PB (personal best) est 34:30, ce qui me permet à peine de me qualifier "élite" (35 minutes ou moins). Va falloir que ça baisse un peu...

Je me rends rarement à Grouse pour une seule montée. J'aime bien en faire deux, je pousse parfois à trois. 1re ascension pour la vitesse, 2e pour l'endurance, 3e pour... la douleur? Si c'était à refaire, je ferais probablement des intervalles. L'an prochain, peut-être.

Plus j'y vais, et plus je connais le parcours et ses subtilités. Plus j'évite les faux-pas, plus je prends les bonnes décisions, et moins je perds de temps, moins je déteste l'activité. On apprend à apprivoiser la douleur, je crois. À tourner ça du bon bord, et à en tirer une certaine fierté. Côté course, j'ai une année difficile. 7 mois de plantar fasciitis, ça ralentit son coureur. Le pied fait mal constamment, surtout en downhill, aussi sur le plat, mais moins en montée. Mon meilleur résultat cette année, c'est Seek the Peak, parce que ça montait. Parce que pour ce type d'effort, je peux m'entraîner sans trop de douleur. La Grouse Grind, même principe. Ça fait mal en commençant, puis je me réchauffe, et ça passe, et je pousse. Fort. C'est bon pour la confiance. En plus, je reçois souvent des commentaires agréables sur ma façon de grimper et, bien égoïstement, ça fait chaud au coeur. La Grouse Grind, c'est un baume, une façon de me prouver que, malgré ma blessure, je peux accomplir de bonnes choses. C'est aussi un coup de pied dans le cul du plantar. Tiens mon "%*&#!

Le mardi qui précède la compétition, j'ai abaissé mon temps à 32:25, ça me permet d'entrevoir un bon résultat, même si je sais que je vais en baver. La compétition sera féroce, y aura pas de quartiers.

La stratégie

Difficile d'établir une stratégie quand l'effort est de courte durée, la compétition forte, et le terrain prévisible. Ma force, c'est le premier quart, que je cours dans sa totalité (note : la Grouse Grind ne se court pas de bout en bout, même pour les meilleurs. C'est un mélange de course et de "power hiking"). Pour l'évènement, le départ se fait une cinquantaine de mètres avant le début de la montée, ce qui permet aux participants d'aller chercher un certain momentum. Je ne prévois pas partir dans le top 10, je préfère laisser aller les favoris (Salas, Guenette, Milic...). Je porterai ma montre, et la regarderai trois fois, au quart, à la demie et aux trois-quarts. Ça me permettra de savoir où j'en suis. J'espère pouvoir courir le dernier segment (les 200 derniers mètres de la Grouse Grind et les 150 m qui s'ajoutent à l'arrivée). Pour le reste, deux pensées guideront ma progression :
1) Des pas tu ne gaspilleras point
2) À chaque enjambée, toujours, le plus loin tu iras
On verra bien...

Les forces ennemies

Sur la ligne de départ, plusieurs gros noms :
- Sebastian Salas : tenant du record pour la Grouse Grind (25:01); King of the Mountain (Tour of California)
- Kristopher Swanson : 30e aux World Mountain Running Championships; demi-marathon en 1:09:11; 10 km en 30:39
- Michael Milic : jeune prodige de 14 ans (je crois), Grouse Grind en 29:56 cette année
- Noah Bloom : un des meilleurs grimpeurs de Vancouver en vélo
- Jordan Guenette : Grouse Grind en 29:31 cette année
- Shaun Stephens-Whale : Grouse Grind en 28:49 cette année, et nombre impressionnant de victoires dans plusieurs distances
- Stephanie Hamilton : tenante du record pour la Grouse Grind chez les femmes (32:08)

Mirabelle, Christine, Joel, Ben, Mylène, MJ

Le soutien des troupes

Faut que je me confesse. Il y a deux choses qui me poussent à me dépasser : 1) la compétition 2) des gens qui viennent me voir. J'aime ça donner un show, et je ne veux pas décevoir. Aujourd'hui, je suis comblé. Des compétiteurs chevronnés, et un groupe de supporters derrière moi. Il y a Mirabelle, mon inestimable partenaire d'entraînement, qui fera le réchauffement avec moi, et aussi des amis chers, Cendrix, Pierre, Mylou et MJ, Christine et Joel, qui graviront la Grouse pour ensuite m'attendre au sommet. Bref, faut pas que je me plante.
Quelques minutes avant l'assaut

Mirabelle et moi, Knee Knacker 2012
Côté réchauffement, je suis on ne peut plus choyé. J'ai un ange au-dessus de l'épaule droite, qui me chuchote quoi faire. Mirabelle, c'est un mélange d'athlétisme, d'intelligence et de finesse. C'est elle que je veux à mes côtés avant une course, alors je sais que je serai fin prêt pour le départ. Elle ne laisse rien au hasard et prend bien soin de Ben.

On se pointe à Grouse Mountain une heure et demie avant le départ. Une dernière gorgée de jus de betterave avant de sortir de l'auto (voir blog précédent). On débute par du jogging sur un sentier de gravier, puis on revient au stationnement, pour des étirements dynamiques et des "strides". On s'approche ensuite de la ligne de départ; des centaines de personnes s'y massent. La compétition se fait en plusieurs vagues, pour moi, ce sera la première. Mirabelle m'encourage à rester actif, et à bouger. J'aperçois Shawn Stephen-Whale, Sebastian Salas, qui fait une entrevue télé, et Stephanie Hamilton. 15 minutes avant qu'on s'élance j'avale un gel et une tasse de Coke. Gazoline! Restent 5 minutes, puis 2, puis le décompte de 10 secondes...

La bataille

Le départ est rapide, mais le rythme n'est pas intenable. On est une douzaine dans la 1re vague, et à l'entrée de la Grouse Grind je suis bon dernier. J'ai espoir que ça change, mais quand même, j'ai un p'tit doute. Est-ce qu'ils sont tous plus forts que moi? Je file plus ou moins pour finir dernier de ma vague, you know what I mean? Quelques participants commencent à marcher avant moi, et j'en profite pour m'en farcir deux ou trois, comme amuse-gueule (malheureusement, c'est à peu près tout ce que j'aurai à me mettre sous la dent. Bien maigre festin...). Au quart du parcours, j'ai 30 secondes d'avance sur mon PB, et à mi-chemin, 53. Je sais que même si je faiblis, je réaliserai mon meilleur temps. J'ai toujours un grimpeur en vue, mais il monte bien, et je décide de me concentrer sur ma course. J'ai déjà glissé deux ou trois fois, et fait des erreurs de jugement, vaut mieux garder l'oeil sur le sentier. Je suis plus ou moins satisfait de mon choix de chaussure (Asics Gel Fuji Racers), les crampons manquent de mordant. Par contre les pattes tiennent le coup, et pas de crampe à l'horizon. Pendant Seek the Peak j'avais parcouru la moitié de la Grouse Grind avec une crampe dans le mollet, c'est moins efficace.

La seconde moitié est plus courte que la première, donc simplement de voir le panneau 1/2 Mark ça encourage. Les gens sur le parcours sont très chaleureux, et ça aussi ça aide. Aux trois-quarts, personne ni devant ni derrière, donc reste à pas flancher. À ma sortie des bois j'entends "Allez Benoît" et je reconnais bien la voix de Pierre. Je ne peux pas le voir, mais ça fait plaisir de le savoir là. Dernier coup de coeur, dernière montée avant l'arrivée, et finalement je peux déployer mes jambes et courir les derniers mètres. 31:43, record personnel par 42 secondes, 7e place dans la catégorie élite et 10e place au classement général.

Pour répondre à la question de Cendrix, qui m'attend au sommet : "Oui, ç'a gouté le sang!"

Le temps d'un café ou deux et de quelques grignotines puis c'est déjà l'heure d'y aller. Direction Sasamat Lake pour une nage. Pas moyen d'avoir une pause!

Ben

Vidéo produite après la course 


 


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